"Les gens qui souffrent de maladies mentales sont bien plus souvent victimes de violences qu'auteurs"

L'internement en question

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Par Fabienne Pasau

L’internement, sa réalité, son sens, son non-sens et les questions qu’il soulève, Pierre Schepens, directeur de la Clinique de la Forêt de Soignes, et Virginie de Baeremaeker, psychologue et criminologue à l’Unité Baobab, l'évoquent dans leur Petit Essai impertinent sur l'Internement. Jean-Marc Mahy, ancien prisonnier devenu éduc-acteur, auteur de la pièce Un Homme debout, revient sur son expérience d'internement.

Qu'est-ce que la bonne santé mentale ? Selon John Bowlby, spécialiste de l'attachement, ce serait l'art de s'entourer de gens qui ne vous rendent pas malade. La société dans laquelle on vit n'est malheureusement pas très solidaire pour les plus fragiles et la notion de rédemption, de deuxième chance est oubliée au profit d'un sécuritaire permanent. Les mentalités ne changent pas. On ferme toujours davantage les yeux sur la maladie mentale.


Des personnes avant tout

Différentes formes d'internement peuvent être envisagées, de la prison à l'asile psychiatrique ou à d'autres institutions plus ouvertes, comme la Clinique de la Forêt de Soignes. L'internement concerne des personnes qui portent cette double peine d'être considérées à la fois comme folles et comme dangereuses, suite à une crise, une décompensation, un coup de folie qui va déterminer leur vie pendant de très longues années. Mais on oublie qu'on a affaire à des êtres humains avant tout.

Pour Virginie de Baeremaeker, psychologue et criminologue, "il faudrait que l'opinion publique se rende compte que ces personnes souffrent d'une maladie, qui est traitable, stabilisable. Bien sûr, elles ont commis un fait à ne pas prendre à la légère mais ce n'est pas une raison pour les condamner ad vitam aeternam de cette double, voire triple peine. Mon envie est d'aller à la rencontre de ces personnes, que les politiques descendent dans les services, viennent rencontrer ces gens, discutent avec eux et se rendent compte que ce ne sont pas des Hannibal Lecter."

Le passage à l'acte chez une personne qui souffre de psychose est souvent impressionnant et marque l'opinion publique. Les séries télévisées n'aident pas, ni les faits divers des journaux. Les personnes atteintes de maladie mentale sont stigmatisées et soupçonnées au moindre problème. "On a tendance à oublier que les gens qui souffrent de maladies mentales sont bien plus souvent victimes de violences qu'auteurs."soigner des gens c'est aussi aider la société


Soigner les gens, c'est aussi aider la société

Les internés sont majoritairement des hommes (90%), désinsérés intellectuellement, scolairement, souvent isolés,avec des expériences de trauma, et beaucoup viennent de l'étranger. Par facilité, on les classe dans le registre de la schizophrénie mais ils ont souvent vécu des choses horribles. 5 à 10% des internés peuvent représenter une dangerosité durable et doivent être enfermés.

"Il faut protéger la société, la justice, mais soigner les gens c'est aussi aider la société, parce que si un psychotique est stabilisé et a bien compris son traitement, il ne récidivera plus", rappelle Pierre Schepens, directeur de la Clinique de la Forêt de Soignes. La collaboration avec la justice est compliquée, non par mauvaise volonté, bien au contraire, mais par le poids du travail et le manque de moyens.

Une nouvelle loi a condamné la Belgique pour traitement inhumain dans l'emprisonnement de malades mentaux. L'internement en prison aura encore son utilité comme mise en observation en situation de crise. La Belgique a bougé suite à cette condamnation et des subsides ont été dégagés, des projets ont été mis en place. 


La prison n'est pas pédagogique

Jean-Marc Mahy a fait 19 ans de prison, 10 ans de libération conditionnelle et est aujourd'hui libre. Pour lui, la grande différence avec une condamnation pénale, c'est qu'on sait à un moment donné quand on va sortir, tandis qu'en psychiatrie, on sait quand on rentre mais jamais quand on sort. 

Il a eu la chance de pouvoir suivre une psychothérapie en prison, pendant 5 ans, mais cette possibilité est devenue de plus en plus compliquée. À Lantin par exemple, la plus grosse prison de Belgique, qui compte 1000 détenus, il y a seulement 2 psychologues, qui gèrent majoritairement les dossiers de libération conditionnelle. "Si un détenu est mal dans sa tête et veut voir un psychologue, le délai d'attente est de 8 mois".

Jean-Marc Mahy se considère aujourd'hui comme éduc-acteur. Il se sent le porte-parole des jeunes en IPPJ, des détenus. "La prison n'est pas une sanction pédagogique, on y fait ce qu'on veut, on peut s'évader par des camisoles chimiques, par la télévision, par la drogue, on est enfermés 23h sur 24, parfois à 2, à 3. C'est pourquoi beaucoup de détenus pètent un plomb."

Sur dix portes auxquelles j'ai été frapper, 9 sont restées fermées, et c'est normal, parce que si j'ai été en prison, c'est que j'ai fait du mal. Mais j'ai toujours eu une 10e porte où les gens m'ont tendu la main. Ce qui m'a permis de devenir ce que je suis aujourd'hui. J'ai pu apprendre à désapprendre pour réapprendre. Et désapprendre est le plus dur parce qu'il faut se former aux codes et aux normes de la société.

Le sujet vous intéresse ? Un petit colloque impertinent sur l’internement se tiendra le 1er avril à la Clinique de la Forêt de Soignes. Et en attendant, écoutez ici la séquence complète de Tendances Première.

Tendances : DOSSIER

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A découvrir aussi pour aller plus loin,
le film documentaire Prison psychiatrique - La Nef des fous 
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